mercredi 5 février 2014

Comment fonctionne une ville... Par Tahar Abou El Farah (La Vie Eco)

A LIRE ABSOLUMENT 

Article de Presse : La Vie Eco 

Gouvernance

Comment fonctionne une ville...

A 16 mois des élections locales, la gouvernance des grandes villes est mise en question. Dix ans après la nouvelle expérience, le citoyen-électeur ignore encore qui fait quoi dans une commune. La multiplicité des intervenants et des acteurs politiques complique la gestion des villes.

Nous sommes à un peu plus d’une année des prochaines élections locales. Plus que 16 mois en fait, mais les préparatifs sont déjà en cours. Les partis se mettent à l’œuvre pour être au rendez-vous. Le ministère de l’intérieur planche sur les dernières moutures des textes électoraux (une trentaine en plus de la loi organique de régionalisation) à proposer au vote, fort probablement, pendant la prochaine session parlementaire du printemps. 

 

En même temps, les parlementaires s’échauffent déjà sur quelques propositions de loi, trois au total, toutes liées au processus électoral, et actuellement devant la commission de l’intérieur. En même temps, le département de l’intérieur, encore lui, a décidé de lancer depuis quelques semaines un énième toilettage des listes électorales. Voilà pour le décor. Sur le fond, il y a encore des citoyens, et ils sont très nombreux, à se poser quelques questions basiques: Que fait une commune, à quoi sert un élu local, comment fonctionne une ville ? L’exemple de ce groupe de citoyens qui a décidé de former une communauté sur les réseaux sociaux, «Save Casablanca», est éloquent. Ce groupe, depuis qu’il a décidé à rendre l’initiative d’interpeller les acteurs locaux sur certains dysfonctionnements de la gouvernance locale, peine à chaque fois à mettre le doigt sur l’interlocuteur concerné. Qui est responsable de quoi ? Difficile à dire, d’autant que les responsables de la ville pèchent par un déficit flagrant en communication en direction des citoyens-électeurs. Pourtant, ce sont ces mêmes citoyens-électeurs qui seront appelés à recomposer, par leur vote, la nouvelle carte des institutions locales, le moment venu. C’est que, une décennie après l’amendement de la charte communale, le fonctionnement (ou le non-fonctionnement) de nos communes, dans leur nouvelle version, demeure un mystère. Les citoyens attendent de l’Etat, du gouvernement, des parlementaires, tous basés à Rabat, des services, qui, en réalité, relèvent de leurs communes, tout près de chez eux. Pourtant, le Souverain, dans le discours d’ouverture de l’année législative, le 11 octobre dernier, a bien rappelé et clarifié les rôles des uns et des autres.

«C’est aux Conseils communaux qu’il revient d’assurer la gestion des services de base dont le citoyen a besoin chaque jour. Le gouvernement, quant à lui, se charge d’élaborer les politiques publiques et les plans sectoriels, et de veiller à leur mise en œuvre.
Le ministre n’est pas responsable de l’approvisionnement en eau et en électricité. Ce n’est pas à lui d’assurer le transport public, ni de s’occuper de la propreté de la commune, du quartier ou de la ville, pas plus que d’y garantir la qualité des routes et des chaussées. Ce sont plutôt les élus communaux qui sont responsables de ces services publics, au sein de leurs circonscriptions respectives et devant les électeurs qui ont voté pour eux. Ces élus sont également chargés de lancer et de mettre en œuvre les chantiers et les projets de développement dans les circonscriptions de leur ressort, afin de créer des emplois et de créer pour les citoyens les conditions d’accès à un revenu stable», énonçait le discours. 

Malgré le recadrage, des zones d’ombre subsistent

Concrètement, la nouvelle charte communale, en précisant les compétences des communes, les regroupe en plusieurs blocs : 

  • le développement économique et social, 
  • les finances, 
  • la fiscalité et les biens communaux, 
  • l’urbanisme et l’aménagement du territoire, 
  • les services publics et les équipements collectifs 
  • et l’hygiène, la salubrité et l’environnement, 
  • les équipements et les actions socioculturels et la coopération 
  • et enfin l’association et le partenariat. 

Bien sûr, quand l’intérêt général l’exige, l’Etat peut transférer certaines de ses attributions aux communes (éducation nationale, santé, formation professionnelle, formation des personnels et des élus, l’environnement, infrastructures et équipements d’intérêt communal...). Bien sûr, tout transfert de compétences doit être accompagné du transfert des ressources nécessaires à leur exercice. Ce qui revient à respecter le fameux principe de subsidiarité.

Ceci pour les compétences. Maintenant qui fait quoi? Dans les grandes villes, comme Casablanca ou les six autres grands centres urbains, où se limite l’intervention de l’arrondissement et où commence celle de la commune? Depuis un peu plus d’une décennie, les villes de plus de 500000 habitants, sont constituées d’une commune urbaine et de plusieurs arrondissements dotés de conseils élus et de compétences de proximité. En théorie, cette formule a l’avantage, d’une part, de recentrer les attributions éclatées de la ville, et, d’autre part, de continuer à assurer la délocalisation, au plus près des citoyens, des fonctions du quotidien. Tout comme l’adoption de ce régime devait permettre une meilleure mobilisation des ressources locales et une plus grande optimisation des projets de développement.
Ceci seulement en théorie, puisque la machine électorale, les intérêts et les lubies de chacun des intervenants ont plutôt pris en otage ce système et, par delà, la gestion de grandes villes comme Casablanca, Tanger ou Rabat. Les luttes inter-partisanes ont même bloqué totalement certaines villes pendant une longue période. 

Unité de la ville, qui fait quoi ?

Dans les faits, ce régime d’unité de la ville consiste, pour reprendre les termes de la charte communale, en la création d’une commune urbaine dotée d’un conseil communal et de conseils d’arrondissements dépourvus des personnalités juridiques, mais jouissant d’une autonomie administrative et financière avec des compétences de proximité. Le conseil communal exerce donc les fonctions dévolues aux communes urbaines et rurales ordinaires. Mais pas toutes. Un champ de compétence de proximité est cédé aux arrondissements, qui sont conçus comme de simples «démembrements communaux» sans personnalité juridique propre mais jouissant d’une autonomie budgétaire. Pour être plus précis, les arrondissements ont pour rôle la gestion des équipements et des services publics de base: l’état civil,  la légalisation de signature, la police administrative, les autorisations d’urbanisme, ...
Pour l’exercice de ces activités, le conseil communal met à la disposition des arrondissements un personnel, des biens et une dotation budgétaire de fonctionnement. A l’image du conseil de la ville, les arrondissements sont gérés par un président, un bureau et des élus. Une question toutefois : Quelle est la différence entre un élu d’arrondissement et un élu du conseil de la commune? Les citoyens élisent les premiers qui se transforment à leur tour en «grands électeurs» qui désignent les seconds. Les membres du conseil de la ville élisent, eux-mêmes, le président (le maire) et les membres du bureau ainsi que les représentants de la ville dans les conseils provinciaux et régionaux. Par ailleurs, et c’est un détail, les membres du bureau du conseil d’arrondissement perçoivent la moitié des indemnités de fonction et de représentation accordées aux membres du bureau du conseil communal. De même que les conseillers d’arrondissement sont privés du droit de vote et d’éligibilité pour la fonction de conseiller membre du conseil provincial ou régional et par conséquent de se porter candidat à la Chambre des conseillers. Bref, pour reprendre les termes d’un théoricien du PJD, Noureddine Qarbal, «des conseillers de la première catégorie qui forment le conseil de la ville et d’autres de deuxième catégorie dont l’influence ne dépasse guère le cadre de l’arrondissement». 

Qui décide dans la ville ? 

Depuis le discours du Souverain du 11 octobre dernier, dont une partie fut consacrée à la (mauvaise) gestion de Casablanca, on assiste à des séries de réunions-marathon entre divers responsables de la ville, wali, maire, gouverneurs et présidents d’arrondissements avec dans la foulée la création de commissions d’urgence qui planchent sur des plans d’action tout aussi urgents. Des mesures ont été prises, des axes prioritaires définis, il ne reste plus qu’à passer à l’action. Pour cela, on parle de mise en place de sociétés de développement qui devraient initier et assurer le suivi des projets de ce plan d’action. C’est pour dire que l’on commence à peine à y voir un peu plus clair. En principe, c’est le président de la commune (le maire) et son bureau qui décident de tout. Le pouvoir de tutelle n’intervient que d’une manière limitée. Le président délègue une partie de ses prérogatives aux dix vice-présidents et 15 commissions qui le secondent dans son action. Les présidents d’arrondissement interviennent également dans la limite de leurs prérogatives. Tout ce monde s’appuie sur un staff administratif et technique qui relève de la commune. C’est le secrétaire général qui assure la partie exécutive et coordonne l’action des différents départements qui dépendent de la commune. On comprend donc pourquoi les guerres de délégations de pouvoir font rage à l’intérieur du bureau et dans l’entourage. Le PJD, qui assure la cinquième vice-présidence, nous fournit une illustration de cette lutte. Avec ses 27 conseillers sur les 147 que compte le conseil de la ville, il contrôle depuis la signature, en 2011, de la charte d’honneur, près de 70% du budget de la ville (estimé à un peu plus de trois milliards de DH au titre de 2014), affirme une source du conseil. Les islamistes ont arraché au maire la délégation de signature dans des domaines aussi importants et stratégiques, électoralement parlant, que les travaux, la voirie, les équipements, la logistique, les infrastructures immobilières, les espaces verts, ...
Ce que d’aucuns considèrent déjà comme avantage comparatif dont le parti islamiste n’hésitera pas à utiliser au moment des élections. En plus des acteurs locaux, il arrive que l’Etat intervienne pour assister la commune ou recadrer son action.

Où se limite l’intervention de l’État ? 

 D’une manière globale, l’État continue d’intervenir directement, mais dans des programmes précis, dans l’action communale. Les programmes actuellement en cours sont le PERG, dans le monde rural, le programme d’alimentation en eau potable, également dans le monde rural. Les villes sont particulièrement concernées par les programmes nationaux d’assainissement solide, réalisés sur 15 ans, et liquide, dont la première tranche concerne 130 villes et 7 millions d’habitants, et le programme de mise à niveau urbaine, lancé en 2005. Cela dit, l’État intervient comme bailleur de fonds et source de financement presque exclusive. La majorité de nos communes, plus particulièrement rurales, ne disposent pas de ressources propres. Elles vivent donc des transferts de l’État qui réserve 30% des ressources de la TVA aux communes. Dans les grandes villes, le conseil communal prélève un certain nombre de taxes et impôts locaux. Depuis 2008, les communes peuvent prélever des taxes de l’urbanisme (taxes sur les terrains non bâtis et les taxes de construction). «Ce qui représente une aubaine et un soulagement pour la trésorerie de la commune. On peut désormais s’aventurer à programmer certains projets de développement», confie un député et président de commune. Bien sûr, les relations État-Ville restent floues. Tout comme les rapports entre président de commune et président d’arrondissement. La conférence des présidents prévue pour lever cette ambiguïté ne semble pas avoir atteint ses objectifs. La carte des compétences et pouvoirs cédés aux arrondissements n’est pas encore clairement délimitée. Où s’arrêtent les pouvoirs de l’une et où commencent ceux de l’autre ? Nous parlons ici de domaines très convoités comme l’urbanisme ou le recouvrement des impôts et taxes ou encore celui de la police administrative et le pouvoir réglementaire. De même, «l’arrondissement peut très bien préparer des projets, mais tant qu’ils n’ont pas reçu l’aval du conseil de la ville, ils restent lettre morte. Car au lieu d’un budget propre, l’arrondissement ne dispose que d’une dotation versée par le conseil de la ville». Le mode de calcul de cette dotation servie par le conseil de la ville aux arrondissements pose, par ailleurs, un sérieux problème. Tout autant que le mode électoral ne permet toujours pas de dégager une majorité cohérente et solide. La plupart de nos villes sont dirigées par une coalition d’au moins deux partis, quatre ou plus pour certaines grandes villes comme Casablanca, Rabat ou Tanger. Il faut aussi attendre quelques mois pour voir comment va évoluer le rôle d’un autre acteur appelé à jouer un rôle primordial dans la gestion locale : la Région. Les textes de lois sur lesquels planche actuellement le ministère de l’intérieur devraient non seulement revoir une expérience vieille de dix ans et toujours incapables d’atteindre les objectifs initialement tracés, mais aussi définir le rôle des régions et leur futurs rapport avec l’État d’un côté et avec les communes de l’autre.

L’équation de la nouvelle commune, telle que souhaitée, sera un élu stratège, une administration locale performante un Etat accompagnateur et un environnement juridique favorable.

Tahar Abou El Farah. La Vie écowww.lavieeco.com

2014-02-04

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