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Article de Presse : La Vie Eco
Gouvernance
Comment fonctionne une ville...
A 16 mois des élections locales, la gouvernance des grandes villes est
mise en question. Dix ans après la nouvelle expérience, le
citoyen-électeur ignore encore qui fait quoi dans une commune. La
multiplicité des intervenants et des acteurs politiques complique la
gestion des villes.
Nous sommes à un peu plus d’une année
des prochaines élections locales. Plus que 16 mois en fait, mais les
préparatifs sont déjà en cours. Les partis se mettent à l’œuvre pour
être au rendez-vous. Le ministère de l’intérieur planche sur les
dernières moutures des textes électoraux (une trentaine en plus de la
loi organique de régionalisation) à proposer au vote, fort probablement,
pendant la prochaine session parlementaire du printemps.
En même temps,
les parlementaires s’échauffent déjà sur quelques propositions de loi,
trois au total, toutes liées au processus électoral, et actuellement
devant la commission de l’intérieur. En même temps, le département de
l’intérieur, encore lui, a décidé de lancer depuis quelques semaines un
énième toilettage des listes électorales. Voilà pour le décor. Sur le
fond, il y a encore des citoyens, et ils sont très nombreux, à se poser
quelques questions basiques: Que fait une commune, à quoi sert un élu
local, comment fonctionne une ville ? L’exemple de ce groupe de citoyens
qui a décidé de former une communauté sur les réseaux sociaux, «Save
Casablanca», est éloquent. Ce groupe, depuis qu’il a décidé à rendre
l’initiative d’interpeller les acteurs locaux sur certains
dysfonctionnements de la gouvernance locale, peine à chaque fois à
mettre le doigt sur l’interlocuteur concerné. Qui est responsable de
quoi ? Difficile à dire, d’autant que les responsables de la ville
pèchent par un déficit flagrant en communication en direction des
citoyens-électeurs. Pourtant, ce sont ces mêmes citoyens-électeurs qui
seront appelés à recomposer, par leur vote, la nouvelle carte des
institutions locales, le moment venu. C’est que, une décennie après
l’amendement de la charte communale, le fonctionnement (ou le
non-fonctionnement) de nos communes, dans leur nouvelle version, demeure
un mystère. Les citoyens attendent de l’Etat, du gouvernement, des
parlementaires, tous basés à Rabat, des services, qui, en réalité,
relèvent de leurs communes, tout près de chez eux. Pourtant, le
Souverain, dans le discours d’ouverture de l’année législative, le 11
octobre dernier, a bien rappelé et clarifié les rôles des uns et des
autres.
«C’est aux Conseils communaux qu’il
revient d’assurer la gestion des services de base dont le citoyen a
besoin chaque jour. Le gouvernement, quant à lui, se charge d’élaborer
les politiques publiques et les plans sectoriels, et de veiller à leur
mise en œuvre.
Le ministre
n’est pas responsable de l’approvisionnement en eau et en électricité.
Ce n’est pas à lui d’assurer le transport public, ni de s’occuper de la
propreté de la commune, du quartier ou de la ville, pas plus que d’y
garantir la qualité des routes et des chaussées. Ce sont plutôt les élus
communaux qui sont responsables de ces services publics, au sein de
leurs circonscriptions respectives et devant les électeurs qui ont voté
pour eux. Ces élus sont également chargés de lancer et de mettre en
œuvre les chantiers et les projets de développement dans les
circonscriptions de leur ressort, afin de créer des emplois et de créer
pour les citoyens les conditions d’accès à un revenu stable», énonçait
le discours.
Malgré le recadrage, des zones d’ombre subsistent
Concrètement, la nouvelle charte
communale, en précisant les compétences des communes, les regroupe en
plusieurs blocs :
- le développement économique et social,
- les finances,
- la fiscalité et les biens communaux,
- l’urbanisme et l’aménagement du
territoire,
- les services publics et les équipements collectifs
- et
l’hygiène, la salubrité et l’environnement,
- les équipements et les
actions socioculturels et la coopération
- et enfin l’association et le
partenariat.
Bien sûr, quand l’intérêt général l’exige, l’Etat peut
transférer certaines de ses attributions aux communes (éducation
nationale, santé, formation professionnelle, formation des personnels et
des élus, l’environnement, infrastructures et équipements d’intérêt
communal...). Bien sûr, tout transfert de compétences doit être
accompagné du transfert des ressources nécessaires à leur exercice. Ce
qui revient à respecter le fameux principe de subsidiarité.
Ceci pour les compétences. Maintenant
qui fait quoi? Dans les grandes villes, comme Casablanca ou les six
autres grands centres urbains, où se limite l’intervention de
l’arrondissement et où commence celle de la commune? Depuis un peu plus
d’une décennie, les villes de plus de 500000 habitants, sont constituées
d’une commune urbaine et de plusieurs arrondissements dotés de conseils
élus et de compétences de proximité. En théorie, cette formule a
l’avantage, d’une part, de recentrer les attributions éclatées de la
ville, et, d’autre part, de continuer à assurer la délocalisation, au
plus près des citoyens, des fonctions du quotidien. Tout comme
l’adoption de ce régime devait permettre une meilleure mobilisation des
ressources locales et une plus grande optimisation des projets de
développement.
Ceci seulement
en théorie, puisque la machine électorale, les intérêts et les lubies
de chacun des intervenants ont plutôt pris en otage ce système et, par
delà, la gestion de grandes villes comme Casablanca, Tanger ou Rabat.
Les luttes inter-partisanes ont même bloqué totalement certaines villes
pendant une longue période.
Unité de la ville, qui fait quoi ?
Dans les faits, ce régime d’unité de
la ville consiste, pour reprendre les termes de la charte communale, en
la création d’une commune urbaine dotée d’un conseil communal et de
conseils d’arrondissements dépourvus des personnalités juridiques, mais
jouissant d’une autonomie administrative et financière avec des
compétences de proximité. Le conseil communal exerce donc les fonctions
dévolues aux communes urbaines et rurales ordinaires. Mais pas toutes.
Un champ de compétence de proximité est cédé aux arrondissements, qui
sont conçus comme de simples «démembrements communaux» sans personnalité
juridique propre mais jouissant d’une autonomie budgétaire. Pour être
plus précis, les arrondissements ont pour rôle la gestion des
équipements et des services publics de base: l’état civil, la
légalisation de signature, la police administrative, les autorisations
d’urbanisme, ...
Pour
l’exercice de ces activités, le conseil communal met à la disposition
des arrondissements un personnel, des biens et une dotation budgétaire
de fonctionnement. A l’image du conseil de la ville, les arrondissements
sont gérés par un président, un bureau et des élus. Une question
toutefois : Quelle est la différence entre un élu d’arrondissement et un
élu du conseil de la commune? Les citoyens élisent les premiers qui se
transforment à leur tour en «grands électeurs» qui désignent les
seconds. Les membres du conseil de la ville élisent, eux-mêmes, le
président (le maire) et les membres du bureau ainsi que les
représentants de la ville dans les conseils provinciaux et régionaux.
Par ailleurs, et c’est un détail, les membres du bureau du conseil
d’arrondissement perçoivent la moitié des indemnités de fonction et de
représentation accordées aux membres du bureau du conseil communal. De
même que les conseillers d’arrondissement sont privés du droit de vote
et d’éligibilité pour la fonction de conseiller membre du conseil
provincial ou régional et par conséquent de se porter candidat à la
Chambre des conseillers. Bref, pour reprendre les termes d’un théoricien
du PJD, Noureddine Qarbal, «des conseillers de la première catégorie
qui forment le conseil de la ville et d’autres de deuxième catégorie
dont l’influence ne dépasse guère le cadre de l’arrondissement».
Qui décide dans la ville ?
Depuis le discours du Souverain du 11
octobre dernier, dont une partie fut consacrée à la (mauvaise) gestion
de Casablanca, on assiste à des séries de réunions-marathon entre divers
responsables de la ville, wali, maire, gouverneurs et présidents
d’arrondissements avec dans la foulée la création de commissions
d’urgence qui planchent sur des plans d’action tout aussi urgents. Des
mesures ont été prises, des axes prioritaires définis, il ne reste plus
qu’à passer à l’action. Pour cela, on parle de mise en place de sociétés
de développement qui devraient initier et assurer le suivi des projets
de ce plan d’action. C’est pour dire que l’on commence à peine à y voir
un peu plus clair. En principe, c’est le président de la commune (le
maire) et son bureau qui décident de tout. Le pouvoir de tutelle
n’intervient que d’une manière limitée. Le président délègue une partie
de ses prérogatives aux dix vice-présidents et 15 commissions qui le
secondent dans son action. Les présidents d’arrondissement interviennent
également dans la limite de leurs prérogatives. Tout ce monde s’appuie
sur un staff administratif et technique qui relève de la commune. C’est
le secrétaire général qui assure la partie exécutive et coordonne
l’action des différents départements qui dépendent de la commune. On
comprend donc pourquoi les guerres de délégations de pouvoir font rage à
l’intérieur du bureau et dans l’entourage. Le PJD, qui assure la
cinquième vice-présidence, nous fournit une illustration de cette lutte.
Avec ses 27 conseillers sur les 147 que compte le conseil de la ville,
il contrôle depuis la signature, en 2011, de la charte d’honneur, près
de 70% du budget de la ville (estimé à un peu plus de trois milliards de
DH au titre de 2014), affirme une source du conseil. Les islamistes ont
arraché au maire la délégation de signature dans des domaines aussi
importants et stratégiques, électoralement parlant, que les travaux, la
voirie, les équipements, la logistique, les infrastructures
immobilières, les espaces verts, ...
Ce
que d’aucuns considèrent déjà comme avantage comparatif dont le parti
islamiste n’hésitera pas à utiliser au moment des élections. En plus des
acteurs locaux, il arrive que l’Etat intervienne pour assister la
commune ou recadrer son action.
Où se limite l’intervention de l’État ?
D’une manière globale, l’État
continue d’intervenir directement, mais dans des programmes précis, dans
l’action communale. Les programmes actuellement en cours sont le PERG,
dans le monde rural, le programme d’alimentation en eau potable,
également dans le monde rural. Les villes sont particulièrement
concernées par les programmes nationaux d’assainissement solide,
réalisés sur 15 ans, et liquide, dont la première tranche concerne 130
villes et 7 millions d’habitants, et le programme de mise à niveau
urbaine, lancé en 2005. Cela dit, l’État intervient comme bailleur de
fonds et source de financement presque exclusive. La majorité de nos
communes, plus particulièrement rurales, ne disposent pas de ressources
propres. Elles vivent donc des transferts de l’État qui réserve 30% des
ressources de la TVA aux communes. Dans les grandes villes, le conseil
communal prélève un certain nombre de taxes et impôts locaux. Depuis
2008, les communes peuvent prélever des taxes de l’urbanisme (taxes sur
les terrains non bâtis et les taxes de construction). «Ce qui représente
une aubaine et un soulagement pour la trésorerie de la commune. On peut
désormais s’aventurer à programmer certains projets de développement»,
confie un député et président de commune. Bien sûr, les relations
État-Ville restent floues. Tout comme les rapports entre président de
commune et président d’arrondissement. La conférence des présidents
prévue pour lever cette ambiguïté ne semble pas avoir atteint ses
objectifs. La carte des compétences et pouvoirs cédés aux
arrondissements n’est pas encore clairement délimitée. Où s’arrêtent les
pouvoirs de l’une et où commencent ceux de l’autre ? Nous parlons ici
de domaines très convoités comme l’urbanisme ou le recouvrement des
impôts et taxes ou encore celui de la police administrative et le
pouvoir réglementaire. De même, «l’arrondissement peut très bien
préparer des projets, mais tant qu’ils n’ont pas reçu l’aval du conseil
de la ville, ils restent lettre morte. Car au lieu d’un budget propre,
l’arrondissement ne dispose que d’une dotation versée par le conseil de
la ville». Le mode de calcul de cette dotation servie par le conseil de
la ville aux arrondissements pose, par ailleurs, un sérieux problème.
Tout autant que le mode électoral ne permet toujours pas de dégager une
majorité cohérente et solide. La plupart de nos villes sont dirigées par
une coalition d’au moins deux partis, quatre ou plus pour certaines
grandes villes comme Casablanca, Rabat ou Tanger. Il faut aussi attendre
quelques mois pour voir comment va évoluer le rôle d’un autre acteur
appelé à jouer un rôle primordial dans la gestion locale : la Région.
Les textes de lois sur lesquels planche actuellement le ministère de
l’intérieur devraient non seulement revoir une expérience vieille de dix
ans et toujours incapables d’atteindre les objectifs initialement
tracés, mais aussi définir le rôle des régions et leur futurs rapport
avec l’État d’un côté et avec les communes de l’autre.
L’équation de la nouvelle commune,
telle que souhaitée, sera un élu stratège, une administration locale
performante un Etat accompagnateur et un environnement juridique
favorable.
2014-02-04
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